Formation universitaire

LA SANTÉ À TOUT PRIX ? Pas de place pour des cliniques infirmières !

22 février 20160 Commentaire(s)

Presse+

Le choix du Québec se cristallise dans un réseau de cliniques médicales de propriété privée où l’offre de services infirmiers est minimale
Gyslaine Desrosiers Consultante en politiques de santé, présidente de l’OIIQ de 1992 à 2012 et présidente du SIDIIEF depuis 1998.*

Depuis 15 ans, le Québec se distingue des autres provinces dans ses choix de services de santé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

En 2005, l’Ontario obligeait une formation universitaire en guise de formation de base pour les infirmières afin de soutenir des rôles avancés. Le Québec y a renoncé. En 2007, l’Ontario annonçait la création de 25 cliniques infirmières pour offrir des services complets de soins de première ligne sans médecins. En 2014, l’Ontario comptait 2200 infirmières praticiennes (infirmières formées au deuxième cycle universitaire qui ont des droits de prescription et de traitement), soit 10 fois plus qu’au Québec.

Le Québec a choisi la médecine de famille (GMF) et l’Ontario, les soins de santé familiale. Les mots ne sont pas neutres.

L’ACCÈS AUX SERVICES DE SANTÉ

Cet enjeu s’avère critique. Cela fait au moins 20 ans que le Québec espère détourner les citoyens des services d’urgence. Le réseau des centres locaux de services communautaires (CLSC) incarnait les recommandations de l’OMS en soins de santé primaire. Les infirmières adoptèrent en grand nombre ce réseau public et firent preuve de créativité en mettant de l’avant Info-Santé, des soins palliatifs à domicile, des cours prénataux, des réseaux d’allaitement, des cliniques de diabète, des cliniques sans rendez-vous et autres services de santé communautaires. Les infirmières en avaient fait de véritables dispensaires urbains ou ruraux.

Toutefois, le réseau des CLSC souffrait du manque de médecins. Il n’était pas attractif ni suffisamment enrichissant pour les médecins qui ont préféré s’installer dans leurs cabinets en tant qu’« entrepreneurs libres », récemment incorporés en société. Finalement, en 2002, l’État a préféré les Groupes de médecine de famille (GMF).

Les maladies chroniques pèsent lourd dans la croissance des coûts directs de santé. Le diabète à lui seul peut « gruger » jusqu’à 15 % des coûts de la santé. L’accès au « médecin de famille » nous sauvera-t-il ? Sans doute pas. Pourquoi ? Parce que les GMF, c’est faire la même chose au lieu de faire autrement, notamment assurer des suivis par d’autres professionnels que les médecins.

Dans la vision du ministre, il n’y a pas de place pour des modèles alternatifs en soins de première ligne. Hors du GMF, point de salut !
Les infirmières doivent exercer sous la gouverne de médecins. Ces derniers reçoivent des honoraires pour la « surveillance » des infirmières praticiennes et une allocation de 2500 $ par mois pour l’usage d’un local dans leur GMF.

L’exemple de la clinique SABSA de Québec, menacée de fermeture, est éloquent. Pourtant, cette clinique avec une infirmière praticienne rejoint environ 2000 personnes vulnérables sans médecin. Elle est un modèle d’efficacité et d’économie complémentaire aux GMF.

L’AVENIR DES INFIRMIÈRES EN PREMIÈRE LIGNE

Le ministre Gaétan Barrette a réitéré l’automne dernier, au congrès de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, que les médecins « n’auront pas le choix de collaborer avec les infirmières ». Déclaration mystérieuse, car il n’a annoncé aucun investissement conséquent, telle l’augmentation d’infirmières dans les GMF, que réclament d’ailleurs les médecins.

Il semble occulter que la rémunération à l’acte des médecins exige du volume et n’incite pas à se délester d’activités au profit d’autres professions. L’enveloppe protégée de financement des médecins (RAMQ) a connu une croissance phénoménale, sans amélioration de l’accès aux services. Quant aux infirmières prêtées aux GMF, elles sont financées à partir du budget des établissements de santé (CISSS ou CIUSSS) qui est sous forte compression. Peu de croissance en vue dans les soins infirmiers de première ligne : il y aurait même déclin dans les soins à domicile.

Prévenir les complications liées au diabète ne requiert pas un médecin, mais une infirmière et une nutritionniste. Le suivi s’avère souvent plus complexe que le diagnostic à cause des autres maladies associées. Aujourd’hui, alors que le déploiement d’infirmières dûment qualifiées en soins de première ligne serait le plus adapté au défi des maladies chroniques, le choix du Québec se cristallise dans un réseau de cliniques médicales de propriété privée où l’offre de services infirmiers est minimale.

* OIIQ (Ordre des infirmières et infirmiers du Québec), SIDIIEF (Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone).

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Influer sur les politiques de santé: un défi d’intérêt international.

28 juillet 20143 Comments

La Source

Gyslaine Desrosiers, en compagnie de professeurs de la Haute École de santé La source de Lausanne, participants à l'atelier « Influer sur les politiques de santé, de soins, de formation ... oui mais comment ? »

Le 26 juin, j’avais le plaisir d’animer un atelier à la Haute École de santé La source de Lausanne sur les stratégies personnelles et professionnelles, tant au plan personnel que collectif, susceptibles d’influer sur les politiques de santé, de soins et d’éducation. La profession infirmière dans tous les pays est le corps professionnel le plus important en nombre mais qui peine  à devenir un groupe d’influence.Le développement des habiletés macro-politiques au sein du corps infirmier s’avère un sujet d’intérêt international. La profession infirmière de par sa position privilégiée peut contribuer à l’amélioration de l’efficacité et de la pertinence des services de santé. Corps professionnel bien organisé, stratégies de visibilité publique et médiatique, prise de parole dans les débats de société portant sur la santé publique et les services de soins sont autant de conditions nécessaires aux jeux d’influence.

En Suisse, il n’y a pas d’ordre infirmier, mais une association nationale (ASI) qui fait des représentations politiques en vue de soutenir l’évolution de la profession. La Suisse romande (francophone) exige le 1er cycle universitaire (bachelor) comme niveau d’entrée à la profession. Les programmes de 2ème et 3ème cycle en sciences infirmières sont maintenant disponibles. La Suisse romande se démarque en Europe par son positionnement très orienté sur le développement d’une  filière académique en sciences infirmières qui s’inspire des traditions universitaires nord-américaines. Cette position politique distingue la Suisse romande des orientations de la Suisse alémanique plutôt encline  à suivre les pas de l’Allemagne. Cette dernière soutient  encore une vision traditionnelle de la profession infirmière. Une institution universitaire forte en sciences infirmières qui génère de la recherche en soins peut s’avérer une source d’innovations cliniques remarquables et éventuellement, un levier d’influence important. 

Statu quo de la formation des infirmières

13 janvier 20143 Comments

Le maintien du statu quo de la formation des infirmières : une décision coûteuse.
(une version plus courte de ce texte a été publié dans Le Devoir, 11-12 janvier 2014 – Voir le texte >>)

Le ministre Réjean Hébert a rendu publique sa décision de maintenir le statu quo de l’accès à la profession infirmière au niveau du diplôme collégial. L’opposition historique et incompréhensible des syndicats infirmiers à un rehaussement de la formation de la relève au niveau universitaire ainsi que le lobby de la Fédération des cégeps ont cloué le cercueil à un enrichissement de la formation de base et à une diplomation universitaire obligatoire.

L’amélioration de l’accès aux soins est compromise

Quel est l’impact à moyen terme pour l’organisation des soins et services de santé au Québec ? L’OCDE a invité tous les pays à revoir le partage de responsabilités entre les médecins et les infirmières pour augmenter l’accès aux services et réduire les coûts liés au suivi des personnes souffrant d’une maladie chronique (cancer, troubles psychiatriques, toxicomanies, problèmes cardio-vasculaires, respiratoires, diabète,..). Les analystes les plus avisés, tel M. Claude Castonguay pour le Québec, ont déjà signalé que le Québec tarde à prendre ce virage.

Toutes les provinces au Canada ont anticipé ces nécessaires changements. Alors qu’au Québec, en 40 ans, aucune heure de formation n’a été ajoutée à la formation des infirmières, les provinces canadiennes ont commencé à rehausser la formation de base au niveau universitaire, il y a déjà une quinzaine d’années. L’Ontario a emboîté le pas en 2005. On anticipe que dans le reste du Canada, ainsi qu’aux États-Unis, 80% des infirmières en emploi auront un baccalauréat en 2020 versus 40% au Québec.

Il est dorénavant clair que le Québec ne donnera pas les mêmes services ou, encore que l’efficacité ne sera pas au rendez-vous. On ne peut envisager demander aux infirmières qui n’ont pas la formation requise de coordonner le suivi de malades chroniques, d’ajuster et prescrire de la médication, d’appliquer à large échelle des ordonnances collectives, d’offrir des services de consultations sans rendez-vous, etc…. Le ministre a, en quelque sorte, reconnu la pertinence d’une formation infirmière technique et « hospitalo-centrique » sans égard aux développements recherchés dans les services de santé. Réformer l’organisation des soins vers des services ambulatoires ou dans la communauté sans une masse critique suffisante d’infirmières adéquatement formées devient peine perdue.

La recherche de performance budgétaire en santé continuera à s’acharner sur l’organisation des soins infirmiers hospitaliers au lieu de s’appuyer sur la complémentarité entre les lieux de soins et les professions, notamment entre les médecins et les infirmières. Les syndicats de médecins ne doivent pas être mécontents du statu quo et restent dans l’ombre à l’abri des questions. Les budgets des soins infirmiers et celui des médecins ne feront pas l’objet d’analyse de performance intégrée. Une approche globale aurait coupé court aux arguments de ceux qui prétendent que le Québec n’est pas assez riche pour se permettre des infirmières mieux formées. Les autres provinces ont fait le raisonnement inverse.

Encore plus surprenante est la proposition de la FIQ ! Faire une étude sur la répartition de tâches entre les infirmières cliniciennes et techniciennes, les infirmières-auxiliaires et le personnel de soins de soutien, les syndicats infirmiers. En préconisant de « rebrasser » la même soupe, sans égard au niveau de soins de l’établissement et aux besoins du futur, n’offrent-ils pas les infirmières syndiquées en pâture aux requins de l’optimisation? Je constate une approche en silo qui ne permet pas d’élargir la vision vers les activités cliniques de l’avenir.

La résistance syndicale au Québec au rehaussement de la formation de base pour la relève demeure pour moi inexplicable. Est-ce la bonne vieille stratégie diviser pour régner ?

La protection du public en perte de sens

Le réseau collégial est triomphant. Les cégeps ne sont plus menacés ! Le programme de techniques infirmières perdurera en toute tranquillité. Pourtant, la proposition de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) ne mettait pas leur avenir en péril et préconisait un programme DEC-BAC. Il semblerait que les cégeps sont le signe distinctif du Québec et que les programmes collégiaux valent bien l’université dans les autres provinces….pour les sciences infirmières seulement!

L’OIIQ a constaté un déficit d’au moins 2500 heures de formation comparativement aux autres provinces et à la France. Le ministre a déclaré qu’il est allé en France et que les infirmières diplômées des cégeps sont « meilleures », malgré les 3000 heures de formation supplémentaires ! Pourtant, les directions de soins infirmiers des établissements hospitaliers au Québec ne cessent de devoir investir dans des compléments de formation pour compenser, notamment en soins critiques. Dans certains domaines cliniques comme en santé mentale, c’est carrément impossible. Les syndicats disent qu’il est méprisant d’évoquer les déficits de formation. Le jeu de l’autruche quoi !

Les ordres professionnels ont un devoir inscrit dans la loi de protéger le public. Le socle de la protection du public repose sur l’acquisition des compétences nécessaires. Ce fondement du système professionnel qui est basé sur l’adéquation entre la formation et les droits d’exercice oblige le gouvernement à déterminer quel diplôme donne accès à une profession réglementée. L’OIIQ avait anticipé que le Québec s’ajusterait au standard canadien et international. Ainsi, le très large champ d’exercice consenti à la profession infirmière au plan légal avec les lois 90 et 21 dépasse de beaucoup les compétences acquises au collégial. Cependant, la formation initiale n’a pas suivi l’évolution de ce cadre légal. Il n’y a pas assez d’heures de formation et les contextes de pratique demandent de plus en plus d’autonomie, sans compter les spécialités qui se développent au 2ème cycle universitaire.

L’OIIQ, plutôt que de demander « à la pièce » de multiples attestations de formation relatives à de nombreuses activités prévues à l’article 36 de sa loi, en toute légitimité, s’est adressé au gouvernement pour que ce dernier change le règlement du diplôme qui donne accès à la profession. Cette légitimité et ce devoir légal de protection du public se voient aujourd’hui bafoués au bénéfice du lobby syndical et des cégeps.

Le statu quo n’est pas une solution

Le président du comité ministériel Dr Pierre Durand a donné raison à l’OIIQ et a déclaré que le rehaussement de la formation infirmière au niveau universitaire est incontournable. À mon avis, l’appui syndical ne sera jamais acquis. Le manque de consensus au sein de la profession paralyse le gouvernement. Par ailleurs, le statu quo obligerait l’OIIQ à fermer les yeux sur les déficits de compétence. L’arrimage entre les activités réservées aux infirmières par la loi et la formation doit être résolu.

Le système professionnel prévoit divers mécanismes : le rehaussement du diplôme de formation qui permet un ajout substantiel d’heures de formation professionnelle pour la relève, les attestations obligatoires de formations supplémentaires au permis en lien avec des activités réservées spécifiques pour les infirmières en exercice ou la création de différentes classes de permis d’exercice.

Au Québec, dans tous les domaines, on différencie les techniciens et les bacheliers. Devant la situation de statu quo qui maintient deux niveaux de formation pour un même titre et un même cadre légal, l’Office des professions devrait exiger des permis de pratique différents pour les infirmières techniciennes et bachelières, comme c’est le cas dans tous les autres domaines réglementés. Le Québec veut être distinct, mais la cohérence doit être au rendez-vous, ainsi les malades n’auront pas à payer le prix.

Les coupures de postes d’infirmières au CUSM

5 avril 20133 Comments

Les coupures de postes d’infirmières au CUSM ou l’art de s’enfoncer dans l’erreur

Tel qu’appréhendé par les infirmières du Centre hospitalier universitaire de l’université Mc Gill, La Presse annonce un plan de changement dans la structure de postes de l’hôpital universitaire : moins d’infirmières et plus d’infirmières-auxiliaires. Je rappelle qu’il s’agit d’un hôpital ultraspécialisé à la fine pointe du développement des sciences de la santé.

Couper le savoir-faire au chevet des malades, est-ce vraiment une solution d’avenir ? Le CUSM voulait suivre la trace des grands hôpitaux nord-américains, le voilà freiné ! Depuis plus de vingt ans, il avait une stratégie de recrutement très affirmée en faveur des infirmières de formation universitaire. Un hôpital de ce niveau ne devrait pas avoir moins de 60% d’infirmières universitaires, selon les standards américains. L’article indique une nouvelle cible de recrutement de 20% d’infirmières-auxiliaires. Remplaceront-elles les infirmières techniciennes (formées au Cegep) qui partent à la retraite ?

Les études internationales, particulièrement celles de Linda Aiken au États-Unis sur une large échelle, indiquent une relation directe entre le pourcentage d’infirmières qualifiées à l’université et la réduction des risques de mortalité lors d’une hospitalisation. Une augmentation de 10 % d’infirmières-bachelières correspond à une baisse de 5% du risque de décès. D’autres études très connues ont également fait un lien positif au niveau de la prévention des complications. D’ailleurs, l’enjeu actuel mis de l’avant par les experts est la sécurité des soins. Les complications génèrent des coûts directs et sociétaux importants. Ne faudrait-il pas creuser cette piste et permettre aux infirmières de réduire les incidents de soins ?

Au moment, où le Québec doit accentuer un virage de soins en ambulatoire, améliorer l’éducation thérapeutique et revoir la répartition de tâches entre les infirmières et les médecins pour améliorer la coordination des soins et le suivi des malades chroniques, ne pas investir dans la force professionnelle infirmière s’avère un contre-sens. Il est triste de constater que la gestion budgétaire des hôpitaux au Québec ne regarde jamais du côté des résultats de soins. Hélas, la notion coûts/bénéfices ne semble pas faire partie de l’arsenal de gestion hospitalière.


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http://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/sante/201304/03/01-4637075-80-postes-dinfirmiere-supprimes-au-cusm.php

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