Discours d’obtention d’un DOCTORAT HONORIS CAUSA

21 décembre 2012

DHC

Discours d’obtention d’un DOCTORAT HONORIS CAUSA de l’Université du Québec sous l’égide de l’Université du Québec en Outaouais.

le 11 novembre 2012.

Madame la présidente de l’Université du Québec,
Monsieur le recteur de l’Université du Québec en Outaouais,
Distingués invités,
Chers diplômés,

Je remercie l’Université du Québec pour cet insigne honneur qui me va droit au cœur. Je remercie également mes collègues qui ont soumis ma candidature. Voir sa carrière être reconnue par une haute institution académique est aussi inespéré qu’inattendu.

Je suis d’autant plus touchée que j’ai d’abord choisi l’université avant de choisir la profession infirmière qui fut par la suite au centre des combats de ma vie. Je m’explique.

En 1968, le Québec vivait sa révolution tranquille et tout le système d’enseignement se transformait. Je poursuivais alors mes études dans un collège classique en vue de compléter le baccalauréat es arts quand ce programme fut abandonné dans l’ensemble du Québec. J’étais rendue au niveau « belles-lettres ». À cette époque, pour devenir infirmière, il fallait s’inscrire dans une école d’hôpital. Il ne m’a jamais effleuré l’esprit de m’inscrire dans une école d’infirmières. Je voulais étudier à l’université. J’étais très intéressée par les sciences de la santé et l’univers de l’hôpital m’apparaissait des plus mystérieux. Je ne voulais pas faire médecine, parce que je trouvais que la pratique du médecin de notre famille dans son sous-sol sombre qui sentait l’éther semblait fort ennuyeuse.

Alors, je me suis inscrite à la Faculté de nursing de l’Université de Montréal pour un baccalauréat de 160 crédits en 4 ans, on m’avait dit que ce programme menait à l’administration des hôpitaux et à l’enseignement dans les écoles d’infirmières. Cette voie m’apparaissait prometteuse. Ainsi, en 1972, je fus graduée d’une des premières cuvées d’infirmières formées directement à l’université. Je suis devenue infirmière presque par hasard.

La Faculté de nursing avait pour mission de former une nouvelle génération d’infirmières professionnelles autonomes ayant des compétences cliniques certes, mais surtout aptes à changer notre société pour que le « care » soit au centre des services de santé. On nous disait : « Vous devrez être des agents de changement durant votre carrière ». On voyait bien que la laïcisation des soins infirmiers et l’avènement récent de programmes de maîtrise, introduit en 1965, ouvraient de nouveaux horizons à la profession. Les valeurs dominantes à l’époque en soins infirmiers étaient vocation et obéissance, ce qui ne correspondait pas au profil des diplômés universitaires. Mais, on ne comprenait pas trop exactement ce qu’il faudrait changer…

Mais, nous fûmes vite rattrapés par la réalité du terrain. Hier, comme encore aujourd’hui, les infirmières dénoncent le décalage entre la formation et la réalité de terrain. Pourquoi ce décalage? Parce que le soin est une valeur fragile dans nos sociétés modernes. Parce que la qualité des soins infirmiers n’est pas toujours au centre des préoccupations de l’appareil d’état.

Rappelons-nous que le « prendre soin » est une valeur fondamentale de civilisation. Ne dit-on pas que l’on reconnait le degré de civilisation d’une société à la façon dont elle s’occupe des personnes vulnérables? Prendre soin de notre planète, prendre soin des enfants et des personnes âgées, prendre soin du patrimoine linguistique et culturel, bref, prendre soin dans toutes ses dimensions pour éviter la barbarie se révèle un projet de société, un combat au quotidien.

Marie-Françoise Collières a écrit :

« Soigner… cet art qui précède tous les autres, sans lequel il ne serait être possible d’exister, est la source de toutes les connaissances et la matrice de toutes les cultures. »

En tant qu’infirmières et infirmiers, prendre soin des êtres les plus vulnérables de la société, les malades et leurs familles, est un choix de carrière, un choix de profession, mais par sa nature même, il s’avère également être un choix citoyen. Oser soigner dans une société en mal de sollicitude , adhérer à cette vocation de devenir un agent de changement dans la société donne tout son sens à notre profession.

Cette volonté d’agir et de proposer des changements toujours animée par la protection de l’intérêt des malades ( « advocacy ») peut se décliner à tous les niveaux, que ce soit sur l’unité de soins, au Conseil des infirmières et infirmiers de l’établissement, à la Commission infirmière régionale, au sein du Comité jeunesse régional de l’OIIQ… les lieux d’engagement professionnel sont multiples. Cela peut même s’exercer au plan international, et ce, en langue française. À l’heure de la mondialisation, le rayonnement de la profession ne peut se faire en vase clos. J’ai eu l’audace de proposer en 1998 la création du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (SIDIIEF) qui aujourd’hui a acquis une notoriété très enviable. Je suis contente de pouvoir continuer à en assumer la présidence. Cette année, le SIDIIEF a obtenu l’appui officiel de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) pour la déclaration de Genève en faveur de la formation initiale universitaire, du développement de la discipline infirmière au 1er, 2e et 3e cycle, ainsi que pour son appel pressant à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) à soutenir l’accès aux études universitaires en Afrique francophone.

Revenons à cette mission d’agent de changement que j’ai personnellement exercée au niveau provincial pendant 30 ans et plus particulièrement, les vingt dernières années comme présidente de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. J’ai choisi l’action politique. Je n’avais qu’une idée en tête : assurer à la profession une place d’influence dans tous les débats touchant les politiques en soins de santé au Québec. Pour ce faire, il fallait notamment agir sur le cadre légal de la pratique infirmière et j’ai réussi à obtenir des révisions législatives importantes (loi 90, loi 21) qui permettent une assise à des rôles très larges et diversifiés, ainsi que la spécialisation et la pratique avancée, notamment l’introduction des infirmières praticiennes. Je suis fière d’avoir contribué à la valorisation du statut professionnel des infirmières et infirmiers.

L’avenir des soins de santé dans un régime public d’assurance est au cœur de l’actualité parce que les réformes nécessaires aux enjeux actuels ne se font pas et la pérennité est menacée par la privatisation, source d’iniquités sociales. D’ailleurs, ces jours-ci, des analystes aussi éminents que M. Claude Castonguay, rappellent à l’ordre l’état québécois en signifiant que la profession infirmière est encore largement sous-utilisée dans la mise de l’avant de solutions innovantes aux problèmes d’accessibilité aux soins. La formation universitaire en sciences infirmières mène à cette innovation, aux changements de rôles, à l’autonomie professionnelle et à un nouveau paradigme de collaboration avec les autres professions, notamment les médecins et surtout, elle permet d’élargir les services à la population. Nous devons être prêts à jouer ces rôles de soins de santé primaire et de suivi de malades chroniques dans la communauté. Il faut le dire haut et fort. Prendre la parole est nécessaire.

La formation universitaire en sciences infirmières donne des fondements scientifiques rigoureux, permet la spécialisation au 2e cycle et engendre des chercheurs au 3e cycle. C’est une richesse dont aucune société ne voudrait se priver. Pourtant, cette formation initiale à l’université, quarante ans après ma diplomation, a encore de la difficulté à justifier sa pertinence et fait encore l’objet de débats au Québec!

Dans son essence, la formation universitaire développe la pensée critique et suscite la prise de parole face aux idéologies dominantes. C’est sans doute pour cela qu’elle fait encore l’objet d’une résistance, voire d’une suspicion. Ce combat de la formation universitaire obligatoire pour notre profession a été gagné dans toutes les provinces au Canada. J’y ai consacré beaucoup de temps et d’efforts; on est presque arrivé au but. Chers diplômés, c’est maintenant à vous de terminer ce travail.

Je voudrais conclure sur un ton plus personnel.

Quand on reçoit un tel honneur, c’est que notre carrière est déjà bien avancée. Nous sommes en novembre, c’est la saison de l’automne. Je commence aussi l’automne de ma vie.

Permettez-moi de vous lire un poème de Fernand Dumont qui nous rappelle le temps qui passe :

Bientôt décembre et la fin des années
Toutes pensées perdues dans l’avenir des saisons
Égaré à l’horloge du monde
L’automne s’apprête à mourir aussi
Au froid dans les images

J’ai rapproché tant de mots sur la page
Tissé de la vie une ample couverture
Une belle écriture
Un bel ensevelissement
J’ai cassé tant de fils
J’ai tant cherché la trame
Que de reprises et de remailles
Que de retailles au chantier de mon âge

Je vous remercie de votre attention.

Catégorie(s): Prix et distinctions
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