L’accès au médecin de famille, la douce utopie.

23 novembre 2015

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Depuis deux décennies, l’accès au « médecin de famille » fait l’objet des promesses électorales de tous les partis. C’est, semble-t-il, l’enjeu –clé de l’avenir des soins de santé. En quoi constituent-ils la solution aux maux des soins de santé ?

Le défi des maladies chroniques au Québec

Selon tous les experts, l’enjeu du système de santé est la capacité de faire face à la prévalence des maladies chroniques et leurs  impacts socio-économiques. Il s’agit d’un défi mondial. L’OMS l’a reconnu dès 2005. Grosso modo, près de la moitié de la population souffre d’une ou plusieurs de ces maladies : maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoire, le diabète de type 2, l’hépatite, le VIH-sida, auxquelles on peut ajouter des maladies musculo-squelettiques, des cancers, des troubles digestifs graves et des maladies mentales. La croissance des coûts directs de santé leur est attribuable, sans oublier les impacts sur la qualité de vie, la perte de productivité tant pour l’individu que pour sa famille. Le diabète à lui-seul peut « gruger » jusqu’à 15 % des coûts de la santé. C’est pourquoi tous les analystes s’inquiètent d’une situation où les  coûts directs de santé au Québec atteignent  déjà 10% du PIB.

L’accès au « médecin de famille » nous sauvera-t-il ? Sans doute pas. Pourquoi ? Parce que les « Groupes de médecine de famille » (GMF), c’est faire plus la même chose au lieu de faire autrement. Les experts mondiaux conviennent que les maladies chroniques exigent de la prévention, du dépistage, un diagnostic précoce et surtout, un suivi personnalisé et adapté à chaque cas particulier par une équipe professionnelle diversifiée. Prévenir les complications liées au diabète ne requiert pas un médecin, mais une nutritionniste et une infirmière. Peu de personnes ont accès à ces services orientés sur une autogestion adéquate de sa maladie. Je connais une personne de mon entourage qui prend des hypoglycémiants sans rien connaitre des  aspects nutritionnels liés au diabète. Le suivi s’avère souvent  plus complexe que le diagnostic.

La collaboration interprofessionnelle

On nous dit depuis si longtemps que les médecins vont travailler  en équipe interprofessionnelle  et  «qu’ils n’auront pas le choix de collaborer». Le ministre de la santé du Québec  l’a répété le 9 novembre au congrès de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.  Pourtant, la rémunération  à l’acte exige du volume et n’incite pas à collaborer avec d’autres professions, sans oublier que le financement des médecins est sur une enveloppe budgétaire indépendante et protégée. Aucun gouvernement n’a voulu « s’attaquer » à la rémunération des médecins. Dans les faits, en ambulatoire,  seuls les services rendus par un médecin sont assurés et universels en vertu de l’assurance-maladie.

Transformer un GMF en un  lieu interdisciplinaire relève de l’utopie car, cela exigerait un important investissement de l’État qui n’est pas dans les plans ministériels. En guise d’exemple,  le ratio actuel médecin/infirmière devrait être revu : au lieu de 10 médecins pour 2 infirmières, cela devrait être l’inverse. L’État a concédé aux médecins à travers les GMF le monopole des services d’état en soins de santé primaire. Il n’y a pas de place pour des modèles alternatifs en soins de première ligne. L’exemple de la clinique communautaire infirmière SABSA  de Québec en est un exemple éloquent. En effet, malgré le succès et l’efficacité démontrée de cette clinique  qui procure des services d’infirmières praticiennes à une clientèle orpheline vulnérable, le ministre a déclaré que cette clinique devrait s’intégrer à un GMF (alors qu’en fait, elle ne répondrait pas aux critères de fonctionnement des GMF).

La médecine inc.

Selon l’entente négociée par le gouvernement  avec la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ), en 2017, 80% de la population sera inscrite dans un GMF et devrait pouvoir consulter  un médecin généraliste rapidement. Mais qu’en sera-t-il des autres services requis (infirmière, nutritionniste, psychologue, physiothérapeute, travailleur social, orthophoniste, etc….? Tous ces services professionnels sont déjà difficilement accessibles dans le réseau public et exigent des déboursés importants des citoyens qui en ont les moyens. La décision récente du ministre d’autoriser  la facturation par les médecins (ou par leur clinique médicale)  de frais dits accessoires consolidera une médecine à deux vitesses. Cette décision contrevient à la Loi canadienne de la santé et fait l’objet de contestations diverses.

Au début des années soixante-dix, avec l’instauration de l’assurance-maladie et de  l’assurance-hospitalisation, la population du Québec se dotait d’un régime public de services de santé universel. Au début des années quatre-vingt, le réseau des centres locaux de services communautaires  (CLSC) intégrait promotion, soins multidisciplinaires ambulatoires et à domicile et services sociaux dans une approche de proximité. Malheureusement, ce modèle n’était pas attractif, ni suffisamment enrichissant  pour les médecins qui ont préféré s’installer dans leurs cabinets en tant « qu’entrepreneurs libres », également propriétaires immobiliers, investisseurs privés et plus récemment incorporés en compagnie.  Finalement, le réseau des CLSC a été démantelé dans les années 2000. Aujourd’hui, alors que le modèle communautaire serait le plus adapté au défi des maladies chroniques, il ne reste plus qu’un réseau de cliniques médicales. La prochaine étape ? Le ministre évoque  la venue de «méga-cliniques ». La médecine inc. a triomphé.

Catégorie(s): Soins de santé primaire
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