Statu quo de la formation des infirmières

13 janvier 2014

Le maintien du statu quo de la formation des infirmières : une décision coûteuse.
(une version plus courte de ce texte a été publié dans Le Devoir, 11-12 janvier 2014 – Voir le texte >>)

Le ministre Réjean Hébert a rendu publique sa décision de maintenir le statu quo de l’accès à la profession infirmière au niveau du diplôme collégial. L’opposition historique et incompréhensible des syndicats infirmiers à un rehaussement de la formation de la relève au niveau universitaire ainsi que le lobby de la Fédération des cégeps ont cloué le cercueil à un enrichissement de la formation de base et à une diplomation universitaire obligatoire.

L’amélioration de l’accès aux soins est compromise

Quel est l’impact à moyen terme pour l’organisation des soins et services de santé au Québec ? L’OCDE a invité tous les pays à revoir le partage de responsabilités entre les médecins et les infirmières pour augmenter l’accès aux services et réduire les coûts liés au suivi des personnes souffrant d’une maladie chronique (cancer, troubles psychiatriques, toxicomanies, problèmes cardio-vasculaires, respiratoires, diabète,..). Les analystes les plus avisés, tel M. Claude Castonguay pour le Québec, ont déjà signalé que le Québec tarde à prendre ce virage.

Toutes les provinces au Canada ont anticipé ces nécessaires changements. Alors qu’au Québec, en 40 ans, aucune heure de formation n’a été ajoutée à la formation des infirmières, les provinces canadiennes ont commencé à rehausser la formation de base au niveau universitaire, il y a déjà une quinzaine d’années. L’Ontario a emboîté le pas en 2005. On anticipe que dans le reste du Canada, ainsi qu’aux États-Unis, 80% des infirmières en emploi auront un baccalauréat en 2020 versus 40% au Québec.

Il est dorénavant clair que le Québec ne donnera pas les mêmes services ou, encore que l’efficacité ne sera pas au rendez-vous. On ne peut envisager demander aux infirmières qui n’ont pas la formation requise de coordonner le suivi de malades chroniques, d’ajuster et prescrire de la médication, d’appliquer à large échelle des ordonnances collectives, d’offrir des services de consultations sans rendez-vous, etc…. Le ministre a, en quelque sorte, reconnu la pertinence d’une formation infirmière technique et « hospitalo-centrique » sans égard aux développements recherchés dans les services de santé. Réformer l’organisation des soins vers des services ambulatoires ou dans la communauté sans une masse critique suffisante d’infirmières adéquatement formées devient peine perdue.

La recherche de performance budgétaire en santé continuera à s’acharner sur l’organisation des soins infirmiers hospitaliers au lieu de s’appuyer sur la complémentarité entre les lieux de soins et les professions, notamment entre les médecins et les infirmières. Les syndicats de médecins ne doivent pas être mécontents du statu quo et restent dans l’ombre à l’abri des questions. Les budgets des soins infirmiers et celui des médecins ne feront pas l’objet d’analyse de performance intégrée. Une approche globale aurait coupé court aux arguments de ceux qui prétendent que le Québec n’est pas assez riche pour se permettre des infirmières mieux formées. Les autres provinces ont fait le raisonnement inverse.

Encore plus surprenante est la proposition de la FIQ ! Faire une étude sur la répartition de tâches entre les infirmières cliniciennes et techniciennes, les infirmières-auxiliaires et le personnel de soins de soutien, les syndicats infirmiers. En préconisant de « rebrasser » la même soupe, sans égard au niveau de soins de l’établissement et aux besoins du futur, n’offrent-ils pas les infirmières syndiquées en pâture aux requins de l’optimisation? Je constate une approche en silo qui ne permet pas d’élargir la vision vers les activités cliniques de l’avenir.

La résistance syndicale au Québec au rehaussement de la formation de base pour la relève demeure pour moi inexplicable. Est-ce la bonne vieille stratégie diviser pour régner ?

La protection du public en perte de sens

Le réseau collégial est triomphant. Les cégeps ne sont plus menacés ! Le programme de techniques infirmières perdurera en toute tranquillité. Pourtant, la proposition de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) ne mettait pas leur avenir en péril et préconisait un programme DEC-BAC. Il semblerait que les cégeps sont le signe distinctif du Québec et que les programmes collégiaux valent bien l’université dans les autres provinces….pour les sciences infirmières seulement!

L’OIIQ a constaté un déficit d’au moins 2500 heures de formation comparativement aux autres provinces et à la France. Le ministre a déclaré qu’il est allé en France et que les infirmières diplômées des cégeps sont « meilleures », malgré les 3000 heures de formation supplémentaires ! Pourtant, les directions de soins infirmiers des établissements hospitaliers au Québec ne cessent de devoir investir dans des compléments de formation pour compenser, notamment en soins critiques. Dans certains domaines cliniques comme en santé mentale, c’est carrément impossible. Les syndicats disent qu’il est méprisant d’évoquer les déficits de formation. Le jeu de l’autruche quoi !

Les ordres professionnels ont un devoir inscrit dans la loi de protéger le public. Le socle de la protection du public repose sur l’acquisition des compétences nécessaires. Ce fondement du système professionnel qui est basé sur l’adéquation entre la formation et les droits d’exercice oblige le gouvernement à déterminer quel diplôme donne accès à une profession réglementée. L’OIIQ avait anticipé que le Québec s’ajusterait au standard canadien et international. Ainsi, le très large champ d’exercice consenti à la profession infirmière au plan légal avec les lois 90 et 21 dépasse de beaucoup les compétences acquises au collégial. Cependant, la formation initiale n’a pas suivi l’évolution de ce cadre légal. Il n’y a pas assez d’heures de formation et les contextes de pratique demandent de plus en plus d’autonomie, sans compter les spécialités qui se développent au 2ème cycle universitaire.

L’OIIQ, plutôt que de demander « à la pièce » de multiples attestations de formation relatives à de nombreuses activités prévues à l’article 36 de sa loi, en toute légitimité, s’est adressé au gouvernement pour que ce dernier change le règlement du diplôme qui donne accès à la profession. Cette légitimité et ce devoir légal de protection du public se voient aujourd’hui bafoués au bénéfice du lobby syndical et des cégeps.

Le statu quo n’est pas une solution

Le président du comité ministériel Dr Pierre Durand a donné raison à l’OIIQ et a déclaré que le rehaussement de la formation infirmière au niveau universitaire est incontournable. À mon avis, l’appui syndical ne sera jamais acquis. Le manque de consensus au sein de la profession paralyse le gouvernement. Par ailleurs, le statu quo obligerait l’OIIQ à fermer les yeux sur les déficits de compétence. L’arrimage entre les activités réservées aux infirmières par la loi et la formation doit être résolu.

Le système professionnel prévoit divers mécanismes : le rehaussement du diplôme de formation qui permet un ajout substantiel d’heures de formation professionnelle pour la relève, les attestations obligatoires de formations supplémentaires au permis en lien avec des activités réservées spécifiques pour les infirmières en exercice ou la création de différentes classes de permis d’exercice.

Au Québec, dans tous les domaines, on différencie les techniciens et les bacheliers. Devant la situation de statu quo qui maintient deux niveaux de formation pour un même titre et un même cadre légal, l’Office des professions devrait exiger des permis de pratique différents pour les infirmières techniciennes et bachelières, comme c’est le cas dans tous les autres domaines réglementés. Le Québec veut être distinct, mais la cohérence doit être au rendez-vous, ainsi les malades n’auront pas à payer le prix.

Catégorie(s): Formation universitaire

Commentaire(s) (3)

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  1. Dallaire dit :

    Merci madame Desrosiers pour cet éclairage. C’est avec grande tristesse que nous avons lu cette nouvelle. Le rapport mentionne que les leaders infirmières doivent arriver à faire consensus, pourtant des centaines d’infirmières déléguées ont dit haut et fort qu’elles considéraient que la formation universitaire était le minimum pour soigner la population du Québec dans les futures années. Est-ce que le faible pourcentage d’infirmières sur le comité ministériel était suffisant pour être représentatif des leaders infirmières? La question se pose. Merci

    • Gyslaine Desrosiers dit :

      La création d’un comité ministériel composé de syndicats et de la Fédération des cégeps pour discuter de la formation initiale des infirmières était à sa face même une façon pour le ministre de gagner du temps et il était clair que le nouveau gouvernement minoritaire reculait face au chemin parcouru avec le gouvernement précédent.
      En invitant les syndicats pour discuter du principe, le ministre remettait en cause la légitimité même de l’OIIQ qui est le seul organisme mandaté par la loi pour faire des recommandations au législateur sur la protection du public. Les autres éléments défavorables furent le recul (ou l’amollissement de la position de l’AQESSS et la présence du Conseil du trésor à la table. De plus, un autre ministre , celui de l’enseignement supérieur était impliqué et ce ministre ne voulait pas affronter la Fédération des cégeps.
      Le rapport du Dr. Durand évoque la notion de consensus entre les leaders, mais tous savent qu’il signifiait par là l’opposition des syndicats infirmiers à la proposition de l’OIIQ. À mon avis, il voulait dire le manque de cohésion au sein de la profession.
      L’Assemblée annuelle de l’OIIQ conforte l’OIIQ dans ses positions et le renforce mais ce n’est pas suffisant comme stratégie d’influence politique. Le gouvernement est la seule autorité qui peut décider du diplôme qui donne accès à une profession réglementée, c’est donc par définition une décision qui requiert un contexte politique favorable (il faut comprendre par là, que les gouvernements cherchent à éviter les dossiers contestés à moins que cela ne soit rentable au plan électoral).
      En général, ce n’est pas pcq un groupe défend une position juste et légitime que sa proposition est acceptée par un gouvernement. Malheureusement, les gouvernements soutiennent rarement un dossier pour son mérite, mais pour son impact politique. À cet égard, il faut qu’un groupe obtienne un rapport de force important, incluant beaucoup de manifestations visibles et médiatisées…..
      Personnellement, mon expérience de 30 ans au plan provincial m’a démontré qu’aucun dossier ne se règle via un comité ministériel ou groupe d’études… »la game » se joue sur une autre patinoire !!!

  2. Jacques Chapuis (Suisse) dit :

    Cette saga est affligeante et démontre que le vainqueur ne sera jamais le patient. L’absence de vision d’avenir est patente et d’obscurs rapports de pouvoirs et d’intérêts guident la gouvernance de la santé publique…..navrant!
    La seule retombée sympathique pour le Québec, c’est que l’émigration vers la Suisse francophone va s’estomper car, ici, nous ne formons plus du tout d’infirmières en dehors du système universitaire et les employeurs plébiscitent ce niveau. La persistance de la formation en CEGEP décrédibilise votre système et la confiance que l’étranger peut y apporter.
    Je remercie l’OIIQ du courage démontré et de son positionnement.

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