Infirmière, profession libérale : l’exception française

15 octobre 2013

Les 9-10 octobre, à Toulouse (France), le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL)1 tenait son congrès de 40ème anniversaire. J’ai eu l’occasion de participer à ce congrès et d’animer une table ronde du SIDIIEF2 où les conférenciers présentaient l’exercice de la profession au Liban, en Suisse et au Québec. Au programme de ce congrès, les enjeux des soins gériatriques ou du suivi des personnes au prise avec un problème de santé mentale et enfin, un historique de l’exercice libéral ont permis de cerner des enjeux franco-français et d’autres à caractères plus universels.

La profession réclame partout la possibilité d’agir avec plus d’autonomie dans le cadre des soins à domicile et la prescription infirmière est à l’ordre du jour tant au Québec qu’en France. Dans ces deux cas, les pharmaciens d’officine se positionnent avec une certaine « vigueur » aux dépens des infirmières dans les protocoles de suivi, notamment d’ajustement des médicaments

Si le Québec a une longueur d’avance dans cette fameuse quête d’autonomie et dans le développement de la pratique avancée, la France se distingue par l’importance et l’ampleur d’une pratique infirmière libérale sur laquelle reposent les soins extrahospitaliers, en fait, tous les soins à domicile. Curieusement, la France fonctionne à l’envers du Québec avec des médecins hospitaliers salariés et des infirmières de soins à domicile en pratique libérale dont les actes infirmiers font l’objet d’une nomenclature dans une convention nationale et d’un remboursement par l’Assurance maladie de l’État.

Il y aurait environ 90,000 infirmières en pratique libérale soit environ 15 % des effectifs. Il a été mentionné durant le congrès qu’elles se situent au 2ème rang des micro-entreprises en France, donc, une force économique indéniable. Toute infirmière ayant un minimum de 2 ans d’expérience au cours des six dernières années peut ouvrir un cabinet. Il y a des restrictions dans les zones dites sur-dotées. Elle peut exercer seule, en collaboration ou en association.

Il y a quatre syndicats d’infirmiers libéraux4 en France qui, à l’instar des syndicats de médecins FMOQ et FMSQ au Québec, négocient notamment la tarification, le plan de retraite et les plans d’effectifs. Ces syndicats pratiquent un militantisme très « professionnalisant » axé sur la valorisation de la pratique infirmière : ils ont soutenu le rehaussement de la formation à l’université, la création de l’ordre et aujourd’hui, souhaitent la création d’une société savante infirmière.

Dans un contexte, où les soins à domicile ou en ambulatoires sont en croissance, les infirmières libérales occupent une position stratégique d’importance. La coordination des parcours de soins, l’accès direct aux professionnels de santé et la rémunération de l’éducation thérapeutique font l’objet de sourdes luttes interprofessionnelles. Dans tous les pays, les systèmes sanitaires doivent relever le même défi, celui des maladies chroniques et les assureurs, privés ou publics, confrontés à l’escalade des coûts de santé s’intéressent aux gains de performance. Comment faire valoir la performance et l’efficacité de la prestation infirmière ?

Il m’apparait que les syndicats d’infirmières libérales sont un peu coincés au plan des stratégies d’action. En effet, culturellement, les membres de ces syndicats, infirmières et infirmiers, adhèrent naturellement à un discours humaniste et centré sur la qualité relationnelle avec les patients. Trop souvent, le discours infirmier est plaintif et traditionnellement orienté sur la recherche de reconnaissance et devient sans intérêt pour les décideurs. Comment convaincre que la profession constitue un levier de solutions aux défis des systèmes de santé ? Une plus grande maitrise d’un discours économique axé sur la valeur ajoutée de la profession au plan systémique s’impose. Toutefois, ce discours orienté vers les décideurs ne fait pas vibrer le cœur de l’infirmière et risque d’éloigner l’association professionnelle ou le syndicat des préoccupations de la base.

Ainsi, le défi au plan médiatique s’avère gigantesque. Les syndicats hospitaliers, là-bas comme ici, présentent toujours la profession comme à bout de souffle et victime de décisions administratives abusives. Une profession qui fait pitié, ce n’est pas gagnant !!! En France, toutefois, les citoyens ont le libre choix de leurs infirmières libérales et ont un accès direct à celles-ci. Leurs syndicats peuvent se distinguer par une stratégie médiatique positive auprès de la population. On peut concevoir l’offre de services infirmiers comme « un produit » dans le marché de la santé qui requiert des stratégies marketing de positionnement renouvelées et un usage performant des médias sociaux. Dans un contexte de morosité générale, le citoyen pourra se dire « heureusement, que nous avons nos infirmières libérales ». !

Chaque contexte apporte un éclairage différent. Au Québec, on pourfend la rémunération à l’acte pour les médecins généralistes en soulignant qu’elle ne favorise pas la collaboration interprofessionnelle et encourage les médecins à pratiquer des actes « faciles » à grand volume. En France, la rémunération à l’acte pour les infirmières libérales permet de mieux cerner et identifier la contribution de la profession aux soins à domicile. Toutefois, la contribution « non-technique », telle la coordination de la prise en charge ou l’éducation thérapeutique, demeure une pomme de discorde parce que les médecins voudraient en avoir l’exclusivité et…améliorer leur rétribution de façon conséquente. Qui a déjà dit que l’argent est le nerf de la guerre ?


1 www.sniil.fr 
2 SIDIIEF : Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (www.sidiief.org )
3 Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (www.sniil.fr ), Fédération nationale des infirmiers (FNI) (www.fni.fr) et l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (www.onsil.fr)
4 Convergence infirmière ( http://convergenceinfirmiere.com)

Catégorie(s): SIDIIEF

Commentaire(s) (1)

Trackback URL | Commentaire(s) RSS Feed

  1. meret dit :

    la description que vous faites du systeme français n’est pas tout à fait exacte.
    tout d’abord tous les soins à domicile ne sont pas fait par des infirmieres libérales. Les suivis psychiatriques sont faits par des infirmiers des hôpitaux psychiatriques publiques. Certains hôpitaux ont développé leur propre suivi lorsque ceux-ci requierent des soins tres spécifiques.
    ensuite une grande partie des soins sont prescrits par les médecins généralistes qui sont aussi des libéraux et payés à l’acte.
    Concernant les syndicats, ils ne sont pas obligatoires en France et tres peu d’infirmiers y cotisent, moins de 10%. La tres grande majorité des infirmiers sont opposés à l’ordre et n’ont pas soutenu le changement pédagogique de la formation infirmiere.
    pour finir une infirmiere libérale à l’interdiction absolue de faire de la publicité ou de passer des accords avec quelque professionnel que ce soit. Elle doit respecter des normes tres strictes sur la plaque qu’elle peut mettre sa porte et ne doive y figurer que le nom et le titre, interdiction d’y faire apparaître un quelconque diplôme universitaire.

Back to Top